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De prime abord, quand on parle d’antisémitisme, à quoi pensez-vous en premier ?  Autrement dit, quelle(s) idée(s) ou événement(s) vous vient(viennent) en tête ?


Il n’est pas facile de répondre à cette question, d’autant que c’est un sujet qui touche à la fois l’historien et le citoyen. Et d’ailleurs, c’est à partir de ces deux regards que je vous répondrai. Si, bien sûr, ce sont des images tirées du passé, avec pour terrible apogée la seconde guerre mondiale, qui me viennent à l’esprit, je dois aussi dire que ce sont des événements tirés de notre actualité la plus récente qui se présentent inévitablement à moi. À l’heure où je réponds à votre question, le souvenir de cette même date, il y a six ans, celui de l’attentat contre l’Hypercasher, nous rappelle que l’antisémitisme s’écrit hélas au présent. 


Faites-vous une différence entre un antisémitisme français et un antisémitisme italien ? Si oui, qu’elle est-elle (sont-elles) ?


Je me placerai pour vous répondre sur le plan de l’histoire plus que sur celui du présent. Votre question renvoie à d’importants débats qui semblent faire de plus en plus consensus parmi les historiens, mais qui font encore l’objet d’idées reçues autour du mythe des « Italiani brava gente ». L’antisémitisme français, c’est admis, avait un ancrage social et culturel sans aucune mesure avec celui qui était le sien de l’autre côté des Alpes. Cela ne signifie pas qu’il ait été inexistant en Italie, mais il n’avait ni l’ampleur, ni la centralité qu’il put avoir en France. Si nous nous en tenons à l’époque contemporaine, choisissons deux « moments » révélateurs. Le premier est celui de l’Affaire Dreyfus : certes, la République a fini par l’emporter, mais l’antisémitisme avait atteint un paroxysme dans presque tous les milieux qui ne peut manquer de glacer l’observateur du passé. Le Juif – comme stéréotype – et les Juifs – comme individus – étaient voués à la vindicte. N’oublions jamais que, face à l’adversité, ils eurent toujours leurs défenseurs, mais rappelons, et cela n’a rien d’anecdotique, que, en 1899, lors du second procès de Rennes, Lucie Dreyfus ne trouve pas où loger dans la ville et fut recueillie par une protestante. On connaît aussi le déferlement d’une haine intellectualisée dans la presse, dans nombre d’ouvrages, dans des réunions publiques… Or l’Italie – lointaine patrie d’origine de Zola ! – apparaît largement favorable à Dreyfus et on ne trouve guère de caisse de résonnance antisémite à cette époque en Italie. Les nationalistes, comme Prezzolini, qui s’expriment sur l’Affaire, refusent clairement de reprendre à leur compte les préjugés antisémites.

Le second moment se situe dans les années 1930. Là encore, la France connaît un pic de haine hostile aux Juifs que l’on n’avait plus connu depuis l’Affaire Dreyfus, puisque le début du XXe siècle avait permis un certain apaisement, confirmé par l’engagement et le patriotisme des Juifs pendant la guerre. À cette époque, l’Italie est aux mains des fascistes. Je ne rouvrirai pas ici le débat sur la nature et les objectifs de l’antisémitisme fasciste à partir du milieu des années 1930, que les travaux de Marie-Anne Matard-Bonucci ont remarquablement étudié. Je signale tout de même, comme le montre l’historien John P. Diggins (Mussolini and Fascism. The View From America, Princeton, 1972), que Mussolini, fin 1933, est classé par des revues juives américaines au nombre des plus grands philosémites du monde ! Les Juifs français étaient d’ailleurs convaincus que l’Italie était un Éden pour les Juifs, et ce jusqu’au milieu de la décennie. En 1934, Alfred Berl, qui dirigeait Paix et Droit, revue de l’Alliance israélite universelle, écrivait : « L’antisémitisme ne deviendra pas un article d’importation en Italie. Nul doute que le judaïsme italien ne continue à jouir de la tranquillité que tant d’autres pays lui envient ».

De fait, après l’avènement de l’antisémitisme d’État en Italie, en 1938, beaucoup de réactions confirmèrent que l’antisémitisme n’était pas une lame de fond au sein de la société. Mais il est faux, et grave, de minimiser pour autant la politique antisémite du fascisme.


Lorsque l’on aborde le sujet de l’antisémitisme, la majorité d’entre nous pensons à la 2nd Guerre Mondiale et aux déportations. Mais y aurait-il, selon vous, un autre évènement moins connu de l’histoire/étudié qu’il serait important de relever ?


Là encore, hélas, toutes les périodes peuvent fournir de nombreux exemples, même si la Shoah demeure un paroxysme qui défie l’entendement. L’antisémitisme est une constante de l’histoire. Il est impossible de choisir parmi les innombrables événements que l’on pourrait citer. Un questionnement me semble pertinent, d’autant qu’il fait débat : faut-il voir dans les haines contre les Juifs qui ont précédé l’époque contemporaine, non pas des précurseurs, mais des éléments comparables au racisme biologique dont l’archétype reste celui des nazis ? C’est tout l’intérêt du travail du grand historien Yosef Hayim Yerushalmi, qui remonte à la limpieza de sangre espagnole.


A votre avis, est-ce que de nos jours l’éducation tient son rôle vis-à-vis des plus jeunes, afin de les sensibiliser sur ce sujet ? (Sans seulement aborder la 2nd Guerre Mondiale, mais aussi des sujets plus actuels).


Je le pense. J’ai enseigné plusieurs années dans le secondaire et je peux témoigner de la présence de cette question en histoire et en enseignement moral et civique (EMC), mais surtout de l’effort de sensibilisation auprès des élèves, de tous âges, et par des moyens très divers. On peut toujours discuter de la méthode mais l’intention est là. L’image d’un retour des années 1930 ou, pire encore, des années sombres, sature le débat public et c’est un grand tort. L’une des meilleures contradictions que l’on peut opposer à cette idée est le soutien sans faille de l’État dans la lutte contre l’antisémitisme. Qu’il soit encore présent ne peut être imputé à un défaut ou à une faillite du monde de l’éducation. En revanche, celui-ci doit être ferme et ne jamais céder car certains aménagements sonnent parfois comme de lourdes capitulations… La tâche est difficile à l’heure d’une concurrence des mémoires, d’une banalisation de l’antisémitisme et du racisme et des difficultés que connaît aujourd’hui le modèle républicain, lourdement attaqué. On saisit l’enjeu éducatif et pédagogique majeur dont il convient que tous prennent conscience.


Auriez-vous une œuvre (livre ou autre) en lien avec ce sujet à conseiller pour en apprendre davantage ?


Il y a bien sûr les livres d’histoire et ils sont nombreux. Depuis les grandes synthèses, en langue française, de Léon Poliakov notamment, l’historiographie est en permanent renouvellement. Je citerai bien sûr les travaux de Ralph Schor, avec qui j’ai travaillé et travaille toujours, qui m’ont beaucoup marqué en ce qu’ils accordent une part très importante à l’irrationalité qui se cache derrière le discours antisémite. L’un de ses grands mérites est d’avoir aussi travaillé, conjointement, sur le philosémitisme, qui n’est pas exempt d’ambiguïtés. L’ouvrage de Jules Isaac, qui a formé par ses manuels des générations d’élèves, L’Enseignement du mépris (1962), a une place particulière dans cette production et montre les progrès qui ont été réalisés aussi en matière de lutte contre la haine et les stéréotypes. Plus récemment, l’ouvrage de Pierre-André Taguieff, Criminaliser les Juifs, sur l’histoire des accusations de crimes rituels, n’est pas sans écho avec le retour de l’image – qu’on croyait appartenir au passé – du Juif empoisonneur, ressurgi pendant la pandémie.

Jérémy GUEDJ - Maître de conférences en histoire contemporaine

A DECOUVRIR: Citation

LIVRES & ESSAIS

Si le sujet vous intéresse fortement et que vous souhaitez aller plus loin dans vos recherches ou votre lecture,
vous découvrirez ci-dessous une liste de différents ouvrages traitant la question de l’antisémitisme.
Vous pouvez retrouver des œuvres françaises et italiennes.
Bonne lecture !

A DECOUVRIR: Membres de l'Équipe
Livres Stacked

Jean-Paul Sartre

RÉFLEXION SUR LA QUESTION JUIVE

QUELQUES SITES DES ÉLÈVES DU MASTER

CHIARA SAULLO:

Les mouvements protestataires en France et en Italie - I movimenti di protesta in Francia e in Italia

https://saullochia.wixsite.com/mouvementsprotestata

STELLA BASSI:

Le développement des “contact tracing apps” en France, en Italie et en Europe  - Lo sviluppo delle “contact tracing apps” in Francia, in Italia e in Europa

http://stellabassi.site/

MOHAMMED BENYOUB:

La liaison ferroviaire Lyon-Turin : solution ou problème ? - Il collegamento ferroviario Torino-Lione : soluzione o problema?

https://lyon-turin.wixsite.com/website

MARINA KATILEVSKAIA-BRAUN :

Tourisme accessible en France et en Italie - Turismo accessibile in Francia e in Italia

https://tourismeaccessiblefranceitalie.wordpress.com/

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